Les Contes du Daïmôn (Livre VI)
669.
Regarder à travers les yeux des fantômes peut-être
Pour effacer la douleur de celui qui se regarde souffrir
Et nous y sommes déjà ; l’effacement –regarder à travers les yeux des fantômes –il faut s’interroger ici, dans la Forêt archi-pleine
Quelle douleur ! une plume comme le cartilage de l’Arbre
Les Fougères, les fosses, les chutes, les torsions des branches ; cela me regarde.
670.
Je connais l’épine, je connais la branche qui monte et à un moment la feuille qui tourne et se pose
La marche, l’Arbre tombé, un sol devenu mou, meuble
La trace, la branche en travers du visage, la brindille
Jaune, et cet énorme champignon de mémoire.
671.
C’est ainsi que se fait l’éternité ; une Forêt, son organisation incompréhensible, titanesque
Ces arbres-jumaux, ces bouquets d’arbres, un enchevêtrement que l’œil de l’humanité ne peut pas concevoir
Ainsi se fait l’éternité.
672.
Le rouge dans la Grande Nature flotte
Un chant après l’autre, le rouge flotte dans la Grande Nature
Et le ciel non-lisse, sous les butées, dans les remblais et sur le talus, grise.
673.
Dessiner d’après nature un sens après l’autre, une roche moussue
Puis une autre, des branches cassées, avec l’oubli des usages
-les usages qui finiront- les rochers qui grandiront
Les Arbres sans fin, autour, les uns après les autres comme la Pluie.
674.
Où est la plume de duvet blanc que j’ai trouvé il y a quelques temps près d’une foliole dans les orangés
C’était parmi des ronces, et j’enjambais et j’avançais jusqu’au bois de ces rondins qui m’amenèrent aux champignons très grands et très beaux
Bois blanchi par le frottement des cornes que l’on dit bois
Bois fracassé par les sabots
Quant à rester immobile dans la Forêt, cela s’appelle faire l’Arbre
Non pas évidemment être Arbre mais le faire dans le chant d’un Oiseau passeur.
675.
Dans une extase –et il me faut l’articuler rapidement- tout m’échappe, me traverse et la masse et le poids de naître –et d’ailleurs je ne sais pas que je m’effondre en moi-même-
Et comme une poudre qui va dans l’eau et file par toutes les eaux
Cette eau se retrouvera au ciel précipité –c’est dans une extase
L’ai-je dit assez rapidement, je ne crois pas, comme il me faille enregistrer cet oiseau venu à peine et laissant son chant aussi vite que cela.
676.
Je me revois pénétrant des femmes, là, parmi les Arbres ou en bas des grands près inhabités
Seul à seul avec la Grande Nature, jaune, rouge cyclique, verte, bleue antonyme, seul à seul, je me revois
Pénétrant des femmes et il est temps de se dire que je pénètre pour un tout –et certes je pénètre aussi des femmes pour un tout, or dans le jaune
Dans le rouge, le vert et dans le bleu combien est le tout ; j’affirme donc que je vais du tout au tout frappé par le verdissement
Que les Arbres creusent à l’entrée hivernale, dans les champs appelants de versant à versant
Que les Arbres creusent, et cette verdoyance qui a l’éclat du roux
De la lueur que des gouttes englobent et m’enivrent avec l’avancée des nuages
Et une sorte de silence ; un silence redit qui ne doit pas être autre chose que la joie pure.
677.
L’homme suivi au sens propre par un arc-en-ciel se chantonnait le problème de sa mort
Comme il serait inconsidéré de ressentir le temps comme un agrégat d’épiphénomènes dont la mort elle-même
La peinture cachée que nul ne peut brûler veille…
La mort concerne aussi les étoiles qui ont créé le temps et l’homme suivi au sens propre par un arc-en-ciel est rêvé par tous les morts
Je veux dire par tous les fantômes et leurs liaisons radiophoniques du Post-mortem
Puisque les morts sont raidis seulement à l’instant du saisissement dans la peinture que nul ne peut brûler et qui veille.
678.
Je suis certain d’être allé cent fois dans des lieux -ou d’y être toujours- que ni je ne retrouve ni dont je me souviens clairement
C’est à cause de cela que je cherche une maison qui ait mon visage.
679.
Ma maison et mon jardin adoré divisent le monde comme une image à peindre
-que les étoiles explosent !-
Mais je n’abandonnerai aucune âme.
680.
Le seul –royaume
Couronne du cercle
Ce qui n’a ni début ni fin
-Déplace-toi avec ton empire, mon enfant !
A contrario ne pas être le seul c’est se situer sur le périmètre du cercle, loin du centre de la couronne, giratoire pour les ignorants de la Métamarche !
C’est se voir sur le pourtour du royaume et se substituer au point, après un début et avant une fin
Alors qu’un Métamarcheur sait que ni le début ni la fin n’ont d’existence quand il se déplace avec son empire.
681.
Face aux organes visibles du Champignon ni animal ni végétal, tant de complétude
Qui m’arrache des larmes fraîches alors que j’extirpe de l’adversité des bribes de félicité.
682.
La figure orphique fut-elle d’avoir trouvé dans les mondes souterrains et le séjour des Morts, l’extase parfaite !
Et par conséquent ne plus revenir –et un tel retour pourquoi !
Vers des sourires fallacieux d’une gent sourde à elle-même
-Pourquoi revenir !
683.
Que le Ciel m’écrase en beauté, confondu avec lui par une autre peau
Une peau céleste dans chaque branche de chaque arbre ; et les Oiseaux, venez !
Par l’Est du Haut et l’Ouest du Bas, et par dix autres dimensions
Et un Sefirot du Noir, et un Sefirot du Jaune, et un Sefirot du Rouge !
Pendant que j’ai la certitude que le Ciel s’agrandit d’onde en onde
Et rien d’autre que l’agrandissement des cieux.
684.
Gagné par le Nuage en plénitude. Gagner.
Et l’éjaculation-chandelle spermatique-flamme dans les orifices femelles ; O peintre-séminal !
Quel rire-mâle triomphateur ;
Triompher, gagner et devenir un Nuage.
685.
Rien d’autre que mon extrême et fougueuse disposition à concevoir des Objets d’Art
Que ma très fine faculté à voyager dans les abîmes et les enchantements ;
Des abîmes et des enchantements et leurs extensions qui propulsent pendant que le Vide et ses puissances prennent corps et sève et essence
Et eau –rien d’autre que ma douce obscénité à concevoir autant d’Objets d’Art et un Fils
Et un Fils-eau de sa beauté
Et cette beauté qui dirige une beauté comme le squelette d’Adam-Ils, autant que le squelette d’un Arbre.
686.
Quatre Oiseaux bien petits d’où je suis
Et au fond donc suis-je le tout-petit
Tracent le Ciel avec des Signes qui deviennent d’un coup siens
Comme le Scolyte que j’ai vu hier et ai lu ses galeries sur un cambium sec
Il grave ainsi l’Arbre de Signes dont je savoure la lecture et qui d’un coup sont devenus miens
Lire les Scolytes –dits aussi « horloges de la mort » engendrant autant d’horloges de ce type pour autant de morts de différents types-
Lire alors les horloges de la mort sous l’écorce et sur le cambium –et l’avant étant l’écorce et l’après sans agonie-
Lire quatre Oiseaux qui calcinent de leurs envols-traces noirs d’où je suis.
(extrait de "Les Contes du Daïmôn (Livre VI)" Denis Protéor).
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